Peut-on encore être utopiste ?
- Florian
- 11 janv. 2020
- 3 min de lecture
Bernie Sander est une fois encore candidat à la primaire démocrate aux Etat-Unis et cette annonce est loin de faire l’unanimité dans son camp. En effet, il est bien souvent caricaturé comme le candidat utopiste prônant un vision du socialisme assez radicale. Il faut reconnaître qu’avec l’élection de D.Trump (ultra-libéral) en 2016, il paraît peu probable qu’un candidat aux valeurs opposées puisse s’imposer dans un pays majoritairement conservateur. Pour autant, un grand nombre d’intellectuels remettent au goût du jour cette pensée utopiste qui n’attend qu’à éclore.

Bernie Sanders lors d'un congrès démocrate en 2019
Ce concept ne date pas d’aujourd’hui, dès le XVI ème Thomas More dans son livre « Utopia » définissait à travers la description d’une île (imaginaire) les grands concepts de la pensée utopiste. Cet ouvrage se présente comme le texte fondateur d’un mouvement de pensée, faisant l’éloge du pacifisme ou encore de l’égalitarisme. Je veux, bien entendu, parler ici d’une pensée utopiste socialiste agissant en faveur de la prospérité et du bien-être des peuples. Il est important de faire cette distinction en vue des interprétations perverses de droite mais aussi de gauche qui en sont faites.
Ainsi, notre histoire regorge de rebondissements plus ou moins importants qui permirent à cette pensée de s’imposer sur la scène publique. Les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale ont particulièrement alimenté cet idéal avec une réduction importante des inégalités. Le cadre économique favorable des « Trente Glorieuses » (Jean Fourastier) a permis l’émergence d’une classe moyenne forte voyant dans le même temps la progression spectaculaire de l’Etat providence (Welfare state). Ces deux caractéristiques ont nourri l’utopie socialiste avant de se voir fortement compromettre dès les années 70 avec les deux chocs pétroliers (1973 et 1979) marquant le début des politiques de rigueur hostile et l’amélioration du système social. La décennie qui suivit fut marquée par un profond retrait de l’Etat dont les maîtres d’oeuvre, M.Thatcher et R.Regan, s’affichent en bâtisseurs.
Cependant, au milieu de cette jungle libérale où les crises se succèdent sans réel changement, des penseurs de demain émergent pour proposer un monde meilleur. Thomas Piketty est l’un d’eux, avec son ouvrage « Capital et idéologie » (2019), proposant des mesures concrètes mais radic
ales pour réduire les inégalités. Cet essai alimente l’utopie socialiste avec des mesures phares comme une taxation à 90% des plus fortunés ou encore une somme de 120 000 € à chaque personne de 25 ans. Ces idées lui valent bien des critiques dans la presse (il faut le reconnaître) mais c’était sans rappeler qu’une majorité de journaux français sont détenus par de riches hommes d’affaire qui ne veulent point voir leurs intérêts financiers menacés.
D’autres auteurs ,comme Rutger Bregman ,dépoussière ce concept car trop longtemps considéré comme un idéal intenable. Dans son essai « Utopie réaliste », il interpelle le lecteur prenant à témoin des évènements passés ayant conduit à des avancées majeures. En d’autres termes des choses qui étaient encore impensables dans notre société sont devenues de nos jours des acquis importants. Prenons ,par exemple, « le mariage pour tous » autorisé dès 2013 sous F.Hollande, il y a encore quelques décennies, cette évolution était impensable (donc utopiste) et pourtant elle est devenue réalité. Les utopistes de hier construisent le monde demain tel est le cheminement que nous pouvons percevoir.
Le journaliste R.Bregman voit dans la situation actuelle du système capitaliste le moment opportun pour lancer des changements d’envergure considérés jusque-là utopique. En partant d’expériences passées, il démontre l’efficacité de mesures telles que le revenu universel, la semaine des 15 heures, l’abolition des frontières… et bien d’autres.
Ces démarches ,purement théoriques qui se limitent à la portée de l’ouvrage, ont conquis aussi l’espace politique. En effet, sans applications politiques concrètes il est difficile de faire progresser l’idéal utopique. Des candidats, comme Benoît Hamon ,proposait dès l’election présidentielle de 2017 l’instauration d’un revenu universel pour réduire la pauvreté persistante en France. Bernie Sanders retient cette même promesse dans sa campagne actuelle pour l’investiture du parti démocrate sans toujours bénéficier d’une grande audibilité. Les années qui arrivent s’annoncent décisives pour notre système face aux nouveaux défis révélateurs du changement à venir. Il dépendra de notre capacité collective à imaginer un monde meilleur pour voir l’utopie devenir réalité.
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